St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Charles-Marie-René Leconte de Lisle 18181894
295. Le Cur de Hialmar
U
Mille braves sont là qui dorment sans tombeaux,
L’épée au poing, les yeux hagards. Pas un ne bouge.
Au-dessus tourne et crie un vol de noirs corbeaux.
Hialmar se soulève entre les morts sanglants,
Appuyé des deux mains au tronçon de sa lame.
La pourpre du combat ruisselle de ses flancs.
Parmi tant de joyeux et robustes garçons
Qui, ce matin, riaient et chantaient à voix pleine
Comme des merles dans l’épaisseur des buissons?
Est trouée, et la hache a fait sauter ses clous.
Mes yeux saignent. J’entends un immense murmure
Pareil aux hurlements de la mer ou des loups.
Ouvre-moi la poitrine avec ton bec de fer.
Tu nous retrouveras demain tels que nous sommes
Porte mon cœur tout chaud à la fille d’Ylmer.
Et chantent, en heurtant les cruches d’or, en chœur,
A tire d’aile vole, ô rôdeur de bruyère!
Cherche ma fiancée et porte-lui mon cœur.
Tu la verras debout, blanche, aux longs cheveux noirs.
Deux anneaux d’argent fin lui pendent aux oreilles,
Et ses yeux sont plus clairs que l’astre des beaux soirs.
Et que voici mon cœur. Elle reconnaîtra
Qu’il est rouge et solide, et non tremblant et blême;
Et la fille d’Ylmer, Corbeau, te sourira!
J’ai fait mon temps. Buvez, ô loups, mon sang vermeil.
Jeune, brave, riant, libre et sans flétrissures,
Je vais m’asseoir parmi les Dieux, dans le soleil!