St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Charles-Marie-René Leconte de Lisle 18181894
296. Les Elfes
C
Elfes joyeux dansent sur la plaine.
Sur un noir cheval, sort un chevalier.
Son éperon d’or brille en la nuit brune;
Et, quand il traverse un rayon de lune,
On voit resplendir, d’un reflet changeant,
Sur sa chevelure un casque d’argent.
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
Qui dans l’air muet semble voltiger.
Où vas-tu si tard? dit la jeune Reine.
De mauvais esprits hantent les forêts;
Viens danser plutôt sur les gazons frais.—
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
M’attend, et demain nous serons époux.
Laissez-moi passer, Elfes des prairies,
Qui foulez en rond les mousses fleuries;
Ne m’attardez pas loin de mon amour,
Car voici déjà les lueurs du jour.—
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
L’opale magique et l’anneau doré,
Et, ce qui vaut mieux que gloire et fortune,
Ma robe filée au clair de la lune.
—Non! dit-il.—Va donc!—Et de son doigt blanc
Elle touche au cœur le guerrier tremblant.
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
Il court, il bondit et va sans retard;
Mais le chevalier frissonne et se penche;
Il voit sur la route une forme blanche
Qui marche sans bruit et lui tend les bras:
—Elfe, esprit, démon, ne m’arr^ecirc;te pas!—
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.
Je vais épouser ma belle aux doux yeux.
—Ô mon cher époux, la tombe éternelle
Sera notre lit de noce, dit-elle.
Je suis morte!—Et lui, la voyant ainsi,
D’angoisse et d’amour tombe mort aussi.
Les Elfes joyeux dansent sur la plaine.