St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Charles-Marie-René Leconte de Lisle 18181894
294. Les Éléphants
L
Et qui flambe, muette, affaissée en son lit.
Une ondulation immobile remplit
L’horizon aux vapeurs de cuivre où l’homme habite.
Dorment au fond de l’antre éloigné de cent lieues,
Et la girafe boit dans les fontaines bleues,
Là-bas, sous les dattiers des panthères connus.
L’air épais où circule un immense soleil.
Parfois quelque boa, chauffé dans son sommeil,
Fait onduler son dos dont l’écaille étincelle.
Mais, tandis que tout dort aux mornes solitudes,
Les éléphants rugueux, voyageurs lents et rudes,
Vont au pays natal à travers les déserts.
Ils viennent, soulevant la poussière, et l’on voit,
Pour ne point dévier du chemin le plus droit,
Sous leur pied large et sûr crouler au loin les dunes.
Est gercé comme un tronc que le temps ronge et mine;
Sa tête est comme un roc, et l’arc de son échine
Se voûte puissamment à ses moindres efforts.
Il guide au but certain ses compagnons poudreux;
Et, creusant par derrière un sillon sablonneux,
Les pèlerins massifs suivent leur patriarche.
Ils cheminent, l’œil clos. Leur ventre bat et fume,
Et leur sueur dans l’air embrasé monte en brume;
Et bourdonnent autour mille insectes ardents.
Et le soleil cuisant leur dos noir et plissé?
Ils rêvent en marchant du pays délaissé,
Des forêts de figuiers où s’abrita leur race.
Où nage en mugissant l’hippopotame énorme;
Où, blanchis par la lune et projetant leur forme,
Ils descendaient pour boire en écrasant les joncs.
Comme une ligne noire, au sable illimité
Et le désert reprend son immobilité
Quand les lourds voyageurs à l’horizon s’effacent.