St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Hégésippe Moreau 18101838
277. La Voulzie
S’
Oh! dites, n’est-ce pas le nom de la Voulzie?
La Voulzie, est-ce un fleuve aux grandes îles? Non;
Mais, avec un murmure aussi doux que son nom,
Un tout petit ruisseau coulant visible à peine;
Un géant altéré le boirait d’une haleine;
Le nain vert Obéron, jouant au bord des flots,
Sauterait par-dessus sans mouiller ses grelots.
Mais j’aime la Voulzie et ses bois noirs de mûres,
Et dans son lit de fleurs ses bonds et ses murmures.
Enfant, j’ai bien souvent, à l’ombre des buissons,
Dans le langage humain traduit ses vagues sons;
Pauvre écolier rêveur, et qu’on disait sauvage,
Quand j’émiettais mon pain à l’oiseau du rivage,
L’onde semblait me dire: ‘Espère! aux mauvais jours
Dieu te rendra ton pain.’—Dieu me le doit toujours!
C’était mon Égérie, et l’oracle prospère
A toutes mes douleurs jetait ce mot: ‘Espère!
Espère et chante, enfant dont le berceau trembla;
Plus de frayeur: Camille et ta mère sont là
Moi, j’aurai pour tes chants de longs échos…’—Chimère!
J’avais bien des amis ici-bas quand j’y vins,
Bluet éclos parmi les roses de Provins:
Du sommeil de la mort, du sommeil que j’envie,
Presque tous maintenant dorment; et, dans la vie,
Le chemin dont l’épine insulte à mes lambeaux,
Comme une voie antique, est bordé de tombeaux.
Dans le pays des sourds j’ai promené ma lyre;
J’ai chanté sans échos, et, pris d’un noir délire,
J’ai brisé mon luth, puis, de l’ivoire sacré
J’ai jeté les débris au vent…et j’ai pleuré!
Pourtant je te pardonne, ô ma Voulzie! et même,
Triste, j’ai tant besoin d’un confident qui m’aime,
Me parle avec douceur et me trompe, qu’avant
De clore au jour mes yeux battus d’un si long vent,
Je veux faire à tes bords un saint pèlerinage,
Revoir tous les buissons si chers à mon jeune âge,
Dormir encor au bruit de tes roseaux chanteurs,
Et causer d’avenir avec tes flots menteurs.