St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Casimir Delavigne 17931843
230. Les Limbes
C
Un parfum vague, un bruit lointain,
C’est je ne sais quoi d’incertain
Que cet empire;
Lieux qu’à peine vient éclairer
Un jour qui, sans rien colorer,
A chaque instant près d’expirer,
Jamais n’expire.
Dont la morne tranquillité
Suit un crépuscule d’été,
Ou de l’aurore,
Fait pressentir que le retour
Va poindre au céleste séjour,
Quand la nuit n’est plus, quand le jour
N’est pas encore!
N’est jamais bleu, jamais vermeil;
Jamais brise, dans ce sommeil
De la nature,
La torpeur de ce lac dormant,
Dont l’eau n’a point de mouvement,
Point de murmure.
Que fleurs qui, presque sans odeur,
Comme les lis ont la candeur
De l’innocence;
Sur leur sein pâle et sans reflets
Languissent des oiseaux muets:
Dans le ciel, l’onde et les forêts,
Tout est silence.
Les milliers d’êtres tant aimés,
Qu’en ces bosquets inanimés
La tombe envoie.
Le calme d’un vague loisir,
Sans regret comme sans désir,
Sans peine comme sans plaisir,
C’est là leur joie.
lls n’ont sur un bonheur prochain,
Sur celui qu’on rappelle en vain,
Rien à se dire.
Leurs sanglots ne troublent jamais
De l’air l’inaltérable paix;
Mais aussi leur rire jamais
N’est qu’un sourire.
Adieu cette fraîche couleur
Qui de baiser leur joue en fleur
Donnait l’envie!
Mais dont aucun éclair ne sort,
Le morne éclat n’est pas la mort,
N’est pas la vie.
Dans leur triste félicité!
Ils se couronnent sans gaîté
De fleurs nouvelles.
Ils se parlent, mais c’est tout bas;
Ils marchent, mais c’est pas à pas;
Ils volent, mais on n’entend pas
Battre leurs ailes.
Qui se meut si nonchalamment,
Qui fait sous son balancement
Plier les branches,
Quelle est cette ombre aux blonds cheveux,
Au regard timide, aux yeux bleus,
Qui ne mêle pas à leurs jeux
Ses ailes blanches?
Elle n’a pas encor volé;
L’effroi dont son cœur est troublé,
J’en vois la cause:
N’est-ce pas celui que ressent
La colombe qui, s’avançant
Pour essayer son vol naissant,
Voudrait et n’ose?
Belle enfant, calme tes douleurs;
Là sont des fruits, là sont des fleurs
Dont tu disposes.
Cueille ces roses sans effroi;
Car, bien que pâles comme toi,
Ce sont des roses.
Ta robe pleine de jasmins;
Et puis, courant par les chemins,
Va les répandre.
Viens, tu prendras en le guettant
L’oiseau qui, sans but voletant,
N’aime ni ne chante, et partant
Se laisse prendre.
Viens, ils tendent vers toi les bras;
On danse tristement là-bas,
Mais on y danse.
Pourquoi penser, pleurer ainsi?
Aucun enfant ne pleure ici,
Ombre rêveuse; mais aussi
Aucun ne pense.
Laisse ton cœur entretenir
D’un bien qui ne peut revenir
L’idée amère?
‘Oui, je me souviens du passé
Du berceau vide où j’ai laissé
Mon rêve à peine commencé,
Et de ma mère.’