St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Alphonse de Lamartine 17901869
224. Le Crucifix
T
Avec son dernier souffle et son dernier adieu,
Symbole deux fois saint, don d’une main mourante,
Image de mon Dieu;
Depuis l’heure sacrée où, du sein d’un martyr,
Dans mes tremblantes mains tu passas, tiè encore
De son dernier soupir!
Le prêtre murmurait ces doux chants de la mort,
Pareils aux chants plaintifs que murmure une femme
A l’enfant qui s’endort.
Et sur ses traits, frappés d’une auguste beauté,
La douleur fugitive avait empreint sa grâce,
La mort sa majesté.
Me montrait tour à tour ou me voilait ses traits,
Comme l’on voit flotter sur un blanc mausolée
L’ombre des noirs cyprès.
L’autre, languissamment replié sur son cœur,
Semblait chercher encore et presser sur sa bouche
L’image du Sauveur.
Mais son âme avait fui dans ce divin baiser,
Comme un léger parfum que la flamme dévore
Avant de l’embraser.
Le souffle se taisait dans son sein endormi,
Et sur l’œil sans regard la paupière affaissée
Retombait à demi.
Je n’osais m’approcher de ce reste adoré,
Comme si du trépas la majesté muette
L’eût déjè consacré.
Et, de ses doigts glacés prenant le crucifix:
‘Voilà le souvenir, et voilà l’espérance:
Emportez-les, mon fils!’
Sept fois, depuis ce jour, l’arbre que j’ai planté
Sur sa tombe sans nom a changé de feuillage:
Tu ne m’as pas quitté.
Tu l’as contre le temps défendu de l’oubli,
Et mes yeux goutte à goutte ont imprimé leur trace
Sur l’ivoire amolli.
Viens, reste sur mon cœur! parle encore, et dis-moi
Ce qu’elle te disait quand sa faible parole
N’arrivait plus qu’à toi;
Se cachant sous le voile épaissi sur nos yeux,
Hors de nos sens glacés pas à pas se replie,
Sourde aux derniers adieux;
Comme un fruit par son poids détaché du rameau,
Notre âme est suspendue et tremble à chaque haleine
Sur la nuit du tombeau;
N’éveille déjà plus notre esprit endormi,
Aux lèvres du mourant collé dans l’agonie,
Comme un dernier ami;
Pour relever vers Dieu son regard abattu,
Divin consolateur, dont nous baisons l’image,
Réponds, que lui dis-tu?
Dans cette nuit terrible où tu prias en vain,
De l’olivier sacré baignèrent les racines
Du soir jusqu’au matin.
Tu vis ta mère en pleurs et la nature en deuil;
Tu laissas comme nous tes amis sur la terre,
Et ton corps au cercueil!
De rendre sur ton sein ce douloureux soupir:
Quand mon heure viendra, souviens-toi de la tienne,
O toi qui sais mourir!
Exhala sur tes pieds l’irrévocable adieu,
Et son âme viendra guider mon âme errante
Au sein du même Dieu.
Triste et calme à la fois, comme un ange éploré,
Une figure en deuil recueillir sur ma bouche
L’héritage sacré!
Et, gage consacré d’espérance et d’amour,
De celui qui s’éloigne à celui qui demeure
Passe ainsi tour à tour,
Une voix dans le ciel, les appelant sept fois,
Ensemble éveillera ceux qui dorment à l’ombre
De l’éternelle croix!