St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
André Chénier 17621794
212. La Jeune Captive
L
Sans crainte du pressoir, le pampre tout l’été
Boit les doux présents de l’aurore;
Et moi, comme lui belle, et jeune comme lui,
Quoi que l’heure présente ait de trouble et d’ennui,
Je ne veux point mourir encore.
Moi je pleure et j’espère; au noir souffle du nord
Je plie et relève ma tête.
S’il est des jours amers, il en est de si doux!
Hélas! quel miel jamais n’a laissé de dégoûts?
Quelle mer n’a point de tempête?
D’une prison sur moi les murs pésent en vain,
J’ai les ailes de l’espérance:
Échappée aux réseaux de l’oiseleur cruel,
Plus vive, plus heureuse, aux campagnes du ciel
Philoèle chante et s’élance.
Et tranquille je veille, et ma veille aux remords
Ni mon sommeil ne sont en proie.
Ma bienvenue au jour me rit dans tous les yeux;
Sur des fronts abattus, mon aspect dans ces lieux
Ranime presque de la joie.
Je pars, et des ormeaux qui bordent le chemin
J’ai passé les premiers à peine.
Au banquet de la vie à peine commencé,
Un instant seulement mes l èvres one pressé
La coupe en mes mains encor pleine.
Et comme le soleil, de saison en saison,
Je veux achever mon année.
Brillante sur ma tige et l’honneur du jardin
Je n’ai vu luire encor que les feux du matin,
Je veux achever ma journée.
Va consoler les cœurs que la honte, l’effroi,
Le pâle désespoir dévore.
Pour moi Palès encore a des asiles verts,
Les Amours des baisers, les Muses des concerts,
Je ne veux point mourir encore.’
S’éveillait, écoutant ces plaintes, cette voix.
Ces vœux d’une jeune captive;
Et secouant le faix de mes jours languissants,
Aux douces lois des vers je pliai les accents
De sa bouche aimable et na&idot;ve.
Feront à quelque amant des loisirs studieux
Cherecher quelle fut ċette belle:
La grâcorait son front et ses discours,
Et, comme elle, craindront de voir finir leurs jours
Ceux qui les passeront près d’elle.