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St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.

Jean Racine 1639–†1699

173. Cantique

Sur les vaines occupations des gens du siècle

QUEL charme vainqueur du monde

Vers Dieu m’élève aujourd’hui?

Malheureux l’homme qui fonde

Sur les hommes son appui!

Leur gloire fuit et s’efface

En moins de temps que la trace

Du vaisseau qui fend les mers,

Ou de la flèche rapide

Qui, loin de l’œil qui la guide,

Cherche l’oiseau dans les airs.

De la Sagesse immortelle

La voix tonne et nous instruit:

‘Enfants des hommes, dit-elle,

De vos soins quel est le fruit?

Par quelle erreur, âmes vaines,

Du plus pur sang de vos veines,

Achetez-vous si souvent,

Non un pain qui vous repaisse,

Mais une ombre qui vous laisse

Plus affamés que d’avant?

‘Le pain que je vous propose

Sert aux anges d’aliment;

Dieu lui-même le compose

De la fleur de son froment.

C’est ce pain si délectable

Que ne sert point à sa table

Le monde que vous suivez.

Je l’offre à qui veut me suivre:

Approchez. Voulez-vous vivre?

Prenez, mangez, et vivez.’

O Sagesse! ta parole

Fit éclore l’univers,

Posa sur un double pôle

La terre au milieu des airs.

Tu dis; et les cieux parurent,

Et tous les astres coururent,

Dans leur ordre se placer.

Avant les siècles tu règnes;

Et qui suis-je, que tu daignes

Jusqu’à moi te rabaisser?

Le Verbe, image du Père,

Laissa son trône éternel,

Et d’une mortelle mère

Voulut naître homme et mortel.

Comme l’orgueil fut le crime

Dont il naissait la victime,

Il dépouilla sa splendeur,

Et vint pauvre et misérable,

Apprendre à l’homme coupable

Sa véritable grandeur.

L’âme heureusement captive

Sous ton joug trouve la paix,

Et s’abreuve d’une eau vive

Qui ne s’épuise jamais.

Chacun peut boire en cette onde,

Elle invite tout le monde;

Mais nous courons follement

Chercher des sources bourbeuses,

Ou des citernes trompeuses

D’où l’eau fuit à tout moment.