St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Théodore de Banville 18231891
307. A la Font-Georges
Ô
Où mon heureuse enfance
Avait des jours encor
Tout filés d’or!
Vers qui les rouges-gorges
Et le doux rossignol
Prenaient leur vol!
Tordait en longue ligne
Son feuillage qui boit
Les pleurs du toit!
Qu’ombrageait, vieux et roide,
Un noyer vigoureux
A moitié creux!
Qui, douces à mes peines
Frémissiez autrefois
Rien qu’à ma voix!
Chantaient insoucieuses
En battant sur leur banc
Le linge blanc!
Dont trois coups de tonnerre
Avaient laissé tout nu
Le front chenu!
Verdoyantes retraites
De peupliers mouvants
A tous les vents!
Dont, le long des collines,
Les ceps accumulés
Ployaient gonflés;
La vendange mi-nue
A l’entour du pressoir
Dansait le soir!
Jetant dans les ravines,
Comme un chêne le gland,
Leur fruit sanglant!
Où le ramier s’effraie,
Saule au feuillage bleu,
Lointains en feu!
Moissonneuses surprises
A mi-jambe dans l’eau
Du clair ruisseau!
Âcres parfums et plaines,
Ombrages et rochers
Souvent cherchés!
Ô mes amours d’enfance!
Mon âme, sans témoins,
Vous aime moins
Sans verdure et sans rose
Et ces sombres massifs
D’antiques ifs,
Où j’eus l’heur ineffable,
Pour la première fois,
D’ouï sa voix!
Doucement obéie,
S’appuyant à mon bras,
Parlait tout bas,
Et d’une fleur cueillie
Brisant le cœur discret
D’un doigt distrait,
Frissonnant sous leurs voiles
Brodent le ciel changeant
De fleurs d’argent.