St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Charles Baudelaire 18211867
302. Madrigal triste
Q
Sois belle! et sois triste! Les pleurs
Ajoutent un charme au visage,
Comme le fleuve au paysage;
L’orage rajeunit les fleurs.
S’enfuit de ton front terrassé;
Quand ton cœur dans l’horreur se noie;
Quand sur ton présent se déploie
Le nuage affreux du passé.
Une eau chaude comme le sang;
Quand, malgré ma main qui te berce,
Ton angoisse, trop lourde, perce
Comme un râle d’agonisant.
Hymne profond, délicieux!
Tous les sanglots de ta poitrine,
Et crois que ton cœur s’illumine
Des perles que versent tes yeux!
De vieux amours déracinés,
Flamboie encor comme une forge,
Et que tu couves sous ta gorge
Un peu de l’orgueil des damnés;
N’auront pas reflété l’Enfer,
Et qu’en un cauchemar sans trêves,
Songeant de poisons et de glaives,
Éprise de poudre et de fer,
Déchiffrant le malheur partout,
Te convulsant quand l’heure tinte,
Tu n’auras pas senti l’étreinte
De l’irrésistible Dégoût,
Qui ne m’aimes qu’avec effroi,
Dans l’horreur de la nuit malsaine
Me dire, l’âme de cris pleine:
‘Je suis ton égale, ô mon Roi!’