St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Alfred de Musset 18101857
275. La Nuit de Décembre
D
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s’asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
A la lueur de mon flambeau,
Dans mon livre ouvert il vint lire.
Il pencha son front sur ma main,
Et resta jusqu’au lendemain,
Pensif, avec un doux sourire.
Je marchais un jour, à pas lents,
Dans un bois, sur une bruyère.
Au pied d’un arbre vint s’asseoir
Un jeune homme vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Il tenait un luth d’une main,
De l’autre un bouquet d’églantine.
Il me fit un salut d’ami,
Et, se détournant à demi,
Me montra du doigt la colline.
J’étais seul dans ma chambre un jour
Pleurant ma première misère.
Au coin de mon feu vint s’asseoir
Un étranger vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
D’une main il montrait les cieux,
Et de l’autre il tenait un glaive.
De ma peine il semblait souffrir,
Mais il ne poussa qu’un soupir,
Et s’évanouit comme un rêve.
Pour boire un toast en un festin,
Un jour je soulevai mon verre.
En face de moi vint s’asseoir
Un convive vêtu de noir
Qui me ressemblait comme un frère.
Un haillon de pourpre en lambeau,
Sur sa tête un myrte stérile;
Son bras maigre cherchait le mien,
Et mon verre, en touchant le sien,
Se brisa dans ma main débile.
J’étais à genoux près du lit
Où venait de mourir mon père.
Au chevet du lit vint s’asseoir
Un orphelin vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Comme les anges de douleurs,
Il était couronné d’épine;
Son luth è terre était gisant,
Sa pourpre de couleur de sang,
Et son glaive dans sa poitrine.
Que je l;ai toujours reconnu
A tous les instants de ma vie.
O’est une étrange vision;
Et cependant, ange ou démon,
J’ai vu partout cette ombre amie.
Pour renaître ou pour en finir,
J’ai voulu m’exiler de France;
Lorsqu’impatient de marcher,
J’ai voulu partir, et chercher
Les vestiges d’une espérance;
A Cologne, en face du Rhin;
A Nice, au penchant des valles;
A Florence, au fond des palais;
A Brigues, dans les vieux chalets;
Au sein des Alpes désolées;
A Vevay, sous les verts pommiers
Au Havre, devant l’Atlantique;
A Venise, à l’affreux Lido,
Où vient sur l’herbe d’un tombeau
Mourir la pâle Adriatique;
J’ai lassé mon cœur et mes yeux,
Saignant d’une éternelle plaie;
Partout où le boiteux Ennui,
Traicirc;nant ma fatigue après lui,
M’a promené sur une claie;
De la soif d’un monde ignoré,
J’ai suivi l’ombre de mes songes;
Partout où, sans avoir vécu,
J’ai revu ce que j’avais vu,
La face humaine et ses mensonges;
J’ai posé mon front dans mes mains
Et sangloté comme une femme;
Partout où j’ai, comme un mouton
Qui laisse sa laine au buisson,
Senti se dénuer mon âme;
Partout où j’ai voulu mourir,
Partout où j’ai touché la terre
Sur ma route est venu s’asseoir
Un malheureux vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.
Je vois toujours sur mon chemin?
Je ne puis croire, à ta mélancolie,
Que tu sois mon mauvais Destin.
Ton doux sourire a trop de patience,
Tes larmes ont trop de pitié.
En te voyant, j’aime la Providence.
Ta douleur même est sœur de ma souffrance;
Elle ressemble à l’amitié.
Jamais tu ne viens m’avertir.
Tu vois mes maux (c’est une chose étrange!)
Et tu me regardes souffrir.
Depuis vingt ans tu marches dans ma voie,
Et je ne saurais t’appeler.
Qui donc es-tu, si c’est Dieu qui t’envoie?
Tu me souris sans partager ma joie,
Tu me plains sans me consoler!
C’était par une triste nuit.
L’aile des vents battait à ma fenêtre;
J’étais seul, courbé sur mon lit.
J’y regardais une place chérie,
Tiède encor d’un baiser brûlant;
Et je songeais comme la femme oublie,
Et je sentais un lambeau de ma vie,
Qui se déchirait lentement.
Des cheveux, des débris d’amour.
Tout ce passé me criait à l’oreille
Ses éternels serments d’un jour.
Je contemplais ces reliques sacrées,
Qui me faisaent trembler la main:
Larmes du cœur par le cœur dévorées,
Et que les yeux qui les avainet pleaurées
Ne reconnaîtront plus demain!
Ces ruines des jours heureux.
Je me disais qu’ici-bas ce qui dure,
C’est une mèche de cheveux.
Comme un plongeur dans une merprofonde
Je me perdais dans tant d’oubli.
De tous côtés j’y retournais la sonde,
Et je pleurais seul, loin des yeux du monde,
Mon pauvre amour enseveli.
Sur ce fragile et cher trésor.
J’allais le rendre, et, n’y pouvant pas croire,
En pleurant j’en doutais encor.
Malgré toi t’en souviendras!
Pourquoi, grand Dieu mentir à sa pensée?
Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée,
Ces sanglots, si tu n’aimais pas?
Mais ta chimère est entre nous.
Eh bien, adieu! Vous compterez les heures
Qui me sépareront de vous.
Partez, partez, et dans ce cœur de glace
Emportez l’orgueil satisfait.
Je sens encor le mien jeune et vivace,
Et bien des maux pourront y trouver place
Sur le mal que vous m’avez fait.
N’a pas tout voulu vous donner.
Ah! pauvre enfant, qui voulez être belle,
Et ne savez pas pardonner!
Allez, allez suivez la destinée;
Qui vous perd n’a pas tout perdu.
Jetez au vent notre amour consumée;—
Éternel Dieu! toil que j’ai tant aimée,
Si tu pars, pourquoi m’aimes-tu?
Une forme glisser sans bruit.
Sur mon rideau j’ai vu passer une ombre:
Elle vient s’asseoir sur mon lit.
Qui donc es-tu, morne et pâtu de noir?
Sombre portrait vêtu de noir?
Que me veux-tu, triste oiseau de passage?
Est-ce un vain rêve? es-ce ma propre image
Que j’aperçois dans ce miroir?
Pèlerin que rien n’a lassé?
Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse
Assis dans l’ombre où j’ai passé.
Qui donc es-tu, visiteur solitaire,
Hôte assidu de mes douleurs?
Qu’as-tu donc fait pour me suivre sur terre?
Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère,
Qui n’apparais qu’au jour des pleurs?
—Ami, notre père est le tien.
Je ne suis ni l’ange gardien,
Ni le mauvais destin des hommes.
Ceux que j’aime, je ne sais pas
De quel côté s’en vont leurs pas
Sur ce peu de fange où nous sommes
Et tu m’as nommé par mon nom
Quand tu m’as appelé ton frère;
Où tu vas, j’y serai toujours,
Jusques au dernier de tes jours,
Où j’irai m’asseoir sur ta pierre.
Quand tu seras dans la douleur,
Viens à moi sans inquiétude;
Je te suivrai sur le chemin,
Mais je ne puis toucher ta main.
Ami, je suis la Solitude.