St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Victor-Marie Hugo 18021885
248. A Villequier
Et sa brume et ses toits sont bien loin de mes yeux;
Maintenant que je suis sous les branches des arbres,
Et que je puis songer à la beauté des cieux;
Je sors, pâle et vainqueur,
Et que je sens la paix de a grande nature
Qui m’entre dans le cœur;
Ému par ce superbe et tranquille horizon,
Examiner en moi les vérités profondes
Et regarder les fleurs qui sont dans le gazon;
De pouvoir désormais
Voir de mes yeux la pierre où je sais que dans l’ombre
Elle dort pour jamais;
Plaines, forêts, rochers, vallons, fleuve argenté,
Voyant ma petitesse et voyant vos miracles,
Je reprends ma raison devant l’immensité;
Je vous porte, apaisé,
Les morceaux de ce cœur tout plein de votre gloire
Que vous avez brisé;
Bon, clément, indulgent et doux, ô Dieu vivant!
Je conviens que vous seul savez ce que vous faites,
Et que l’homme n’est rien qu’un jonc qui tremble au vent;
Ouvre le firmament;
Et que ce qu’ici-bas nous prenons pour le terme
Est le commencement;
Possédez l’infini, le réel, l’absolu;
Je conviens qu’il est bon, je conviens qu’il est juste
Que mon cœur ait saigné, puisque Dieu l’a voulu!
Par votre volonté.
L’âme de deuils en deuils, l’homme de rive en rive,
Roule à l’éternité.
L’autre plonge en la nuit d’un mystère effrayant.
L’homme subit le joug sans connaître les causes.
Tout ce qu’il voit est court, inutile et fuyant.
Autour de tous ses pas.
Vous n’avez pas voulu qu’il eût la certitude
Ni la joie ici-bas!
Rien ne lui fut donné, dans ses rapides jours,
Pour qu’il s’en puisse faire une demeure, et dire:
C’est ici ma maison, mon champ et mes amours!
Il vieillit sans soutiens.
Puisque ces choses sont, c’est qu’il faut qu’elles soient;
J’en conviens, j’en conviens!
Se compose des pleurs aussi bien que des chants;
L’homme n’est qu’un atome en cette ombre infinie,
Nuit où montent les bons, où tombent les méchants.
Que de nous plaindre tous,
Et qu’un enfant qui meurt, désespoir de sa mère,
Ne vous fait rien, à vous.
Que l’oiseau perd sa plume et la fleur son parfum;
Que la création est une grande roue
Qui ne peut se mouvoir sans écraser quelqu’un;
Passent sous le ciel bleu;
Il faut que l’herbe pousse et que les enfants meurent;
Je le sais, ô mon Dieu!
Au fond de cet azur immobile et dormant,
Peut-être faites-vous des choses inconnues
Où la douleur de l’homme entre comme élément.
Que-des êtres charmants
S’en aillent, emportés par le tourbillon sombre
Des noirs évènements.
Que rien ne déconcerte et que rien n’attendrit.
Vous ne pouvez avoir de subites clémences
Qui dérangent le monde, ô Dieu, tranquille esprit!
Et de considérer
Qu’humble comme un enfant et doux comme une femme
Je viens vous adorer!
Travaillé, combattu, pensé, lutté,
Expliquant la nature à l’homme qui l’ignore,
Éclairant toute chose avec votre clarté
Fait ma tâche ici-bas,
Que je ne pouvais pas m’attendre à ce salaire,
Que je ne pouvais pas
Vous appesantiriez votre bras triomphant,
Et que, vous qui voyiez comme j’ai peu de joie,
Vous me reprendriez si vite mon enfant!
Que j’ai pu blasphémer,
Et vous jeter mes cris comme un enfant qui jette
Une pierre à la mer!
Que l’œil qui pleure trop finit par s’aveugler,
Qu’un être que son deuil plonge au plus noir du gouffre,
Quand il ne vous voit plus, ne peut vous contempler,
Dans les afflictions,
Ait présente à l’esprit la sérénité sombre
Des constellations!
Je me courbe à vos pieds devant vos cieux ouverts.
Je me sens éclairé dans ma douleur amère
Par un meilleur regard jeté sur l’univers.
S’il ose murmurer;
Je cesse d’accuser, je cesse de maudire,
Mais laissez-moi pleurer!
Puisque vous avez fait les hommes pour cela!
Laissez-moi me pencher sur cette froide pierre
Et dire à mon enfant: Sens-tu que je suis là?
Le soir, quand tout se tait,
Comme si, dans sa nuit rouvrant ses yeux célestes,
Cet ange m’écoutait!
Sans que rien ici-bas puisse m’en consoler,
Je regarde toujours ce moment de ma vie
Où je l’ai vue ouvrir son aile et s’envoler.
L’instant, pleurs superflus!
Où je criai: L’enfant que j’avais tout à l’heure,
Quoi donc! je ne l’ai plus!
Ô mon Dieu! cette plaie a si longtemps saigné!
L’angoisse dans mon âme est toujours la plus forte,
Et mon cœur est soumis, mais n’est pas résigné.
Mortels sujets aux pleurs,
Il nous est malaisé de retirer notre âme
De ces grandes douleurs.
Seigneur; quand on a vu dans sa vie, un matin
Au milieu des ennuis, des peines, des misères,
Et de l’ombre que fait sur nous notre destin,
Petit être joyeux,
Si beau, qu’on a cru voir s’ouvrir à son entrée
Une porte des cieux;
Croître la grâce aimable et la douce raison,
Lorsqu’on a reconnu que cet enfant qu’on aime
Fait le jour dans notre âme et dans notre maison,
De tout ce qu’on rêva,
Considérez que c’est une chose bien triste
De le voir qui s’en va!