St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Victor-Marie Hugo 18021885
238. Tristesse dOlympio
L
Non, le jour rayonnait dans un azur sans bornes
Sur la terre étendu,
L’air était plein d’encens et les prés de verdures
Quand il revit ces lieux où par tant de blessures
Son cœur s’est répandu.
Penchaient leurs bois charmants qui jaunissaient à peine;
Le ciel était doré;
Et les oiseaux, tournés vers celui que tout nomme,
Disant peut-être à Dieu quelque chose de l’homme,
Chantaient leur chant sacré.
La masure où l’aumône avait vidé leur bourse,
Le vieux frêne plié,
Les retraites d’amour au fond des bois perdues,
L’arbre où dans les baisers leurs âmes confondues
Avaient tout oublié.
La grille d’où l’œil plonge en une oblique allée,
Les vergers en talus.
Pâle, il marchait.—Au bruit de son pas grave et sombre
Il voyait à chaque arbre, hélas! se dresser l’ombre
Des jours qui ne sont plus.
Ce doux vent qui, faisant tout vibrer en nous-même,
Y réveille l’amour,
Et, remuant le chêne ou balançant la rose,
Semble l’âme de tout qui va sur chaque chose
Se poser tour à tour.
S’efforçant sous ses pas de s’élever de terre,
Couraient dans le jardin;
Ainsi, parfois, quand l’âme est triste, nos pensées
S’envolent un moment sur leurs ailes blessées,
Puis retombent soudain.
Que la nature prend dans les champs pacifiques;
Il rêva jusqu’au soir;
Tout le jour il erra le long de la ravine,
Admirant tour à tour le ciel, face divine,
Le lac, divin miroir.
Regardant, sans entrer, par-dessus les clôtures,
Ainsi qu’un paria,
Il erra tout le jour. Vers l’heure où la nuit tombe,
Il se sentit le cœur triste comme une tombe,
Alors il s’écria:
Savoir si l’urne encor conservait la liqueur,
Et voir ce qu’avait fait cette heureuse vallée
De tout ce que j’avais laissé là de mon cœur!
Nature au front serein, comme vous oubliez!
Et comme vous brisez dans vos métamorphoses
Les fils mystérieux où nos cœurs sont liés!
L’arbre où fut notre chiffre est mort ou renversé;
Nos roses dans l’enclos ont été ravagées
Par les petits enfants qui sautent le fossé.
Folâtre, elle buvait en descendant des bois;
Elle prenait de l’eau dans sa main, douce fée,
Et laissait retomber des perles de ses doigts!
Où, dans le sable pur se dessinant si bien,
Et de sa petitesse étalant l’ironie,
Son pied charmant semblait rire à côté du mien.
Où jadis pour m’entendre elle aimait à s’asseoir,
S’est usée en heurtant, lorsque la route est sombre,
Les grands chars gémissants qui reviennent le soir.
De tout ce qui fut nous presque rien n’est vivant;
Et, comme un tas de cendre éteinte et refroidie,
L’amas des souvenirs se disperse à tout vent!
Rien ne la rendra-t-il à nos cris superflus?
L’air joue avec la branche au moment où je pleure;
Ma maison me regarde et ne me connaît plus.
Nous y sommes venus, d’autres vont y venir;
Et le songe qu’avaient ébauché nos deux âmes,
Ils le continueront sans pouvoir le finir!
Les pires des humains sont comme les meilleurs,
Nous nous réveillons tous au même endroit du rêve.
Tout commence en ce monde et tout finit ailleurs.
Puiser dans cet asile heureux, calme, enchanté,
Tout ce que la nature à l’amour qui se cache
Mêle de rêverie et de solennité!
Ton bois, ma bien-aimée, est à des inconnus.
D’autres femmes viendront, baigneuses indiscrètes,
Troubler le flot sacré qu’ont touché tes pieds nus.
Rien ne nous restera de ces coteaux fleuris
Où nous fondions notre être en y mêlant nos flammes!
L’impassible nature a déjà tout repris.
Rameaux chargés de nids, grottes, forêts, buissons,
Est-ce que vous ferez pour d’autres vos murmures?
Est-ce que vous direz à d’autres vos chansons?
Tous nos échos s’ouvraient si bien à votre voix!
Et nous prêtions si bien, sans troubler vos mystères,
L’oreille aux mots profonds que vous dites parfois!
O nature abritée en ce désert si beau,
Lorsque nous dormirons tous deux dans l’attitude
Que donne aux morts pensifs la forme du tombeau;
De nous savoir couchés, morts avec nos amours,
Et de continuer votre fête paisible,
Et de toujours sourire et de chanter toujours:
Fantômes reconnus par vos monts et vos bois,
Vous ne nous direz pas de ces choses secrètes
Qu’on dit en revoyant des amis d’autrefois?
Voir nos ombres flotter où marchèrent nos pas,
Et la voir m’entraîner, dans une morne étreinte,
Vers quelque source en pleurs qui sanglote tout bas?
Deux amants sous vos fleurs abritant leurs transports,
Ne leur irez-vous pas murmurer à l’oreille:
—Vous qui vivez, donnez une pensée aux morts?
Les grands bois frissonnants, les rocs profonds et sourds,
Et les cieux azurés et les lacs et les plaines,
Pour y mettre nos cœurs, nos rêves, nos amours;
Il plonge dans la nuit l’antre où nous rayonnons;
Et dit à la vallée, où s’imprima notre âme
D’effacer notre trace et d’oublier nos noms.
Herbe, use notre seuil! ronce, cache nos pas!
Chantez, oiseaux! ruisseaux, coulez! croissez, feuillages!
Ceux que vous oubliez ne vous oublieront pas.
Vous êtes l’oasis qu’on rencontre en chemin!
Vous êtes, ô vallon, la retraite suprême
Où nous avons pleuré nous tenant par la main!
L’une emportant son masque et l’autre son couteau,
Comme un essaim chantant d’histrions en voyage
Dont le groupe décroît derrière le coteau.
Toi qui, torche ou flambeau, luis dans notre brouillard!
Tu nous tiens par la joie, et surtout par les larmes;
Jeune homme on te maudit, on t’adore vieillard.
Où l’homme, sans projets, sans but, sans visions,
Sent qu’il n’est déjà plus qu’une tombe en ruine
Où gisent ses vertus et ses illusions;
Comptant dans notre cœur, qu‘enfin la glace atteint,
Comme on compte les morts sur un champ de batailles,
Chaque douleur tombée et chaque songe éteint,
Loin des objects réels, loin du monde rieur,
Elle arrive à Pas lents par une obscure rampe
Jasqu’au fond désolé du gouffre intérieur;;
L’âme, en un repli sombre où tout semble finir,
Sent quelque chose encor palpiter sous un voile…—
C’est toi qui dors dans l’ombre, ô sacré souvenir!’