St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Antoinette Du Ligier de La Garde, Dame Deshoulières 16331694
167. Allégorie
D
Qu’arrose la Senne,
Cherchez qui vous mène,
Mes chères brebis.
Le Destin plus doux,
Ce qu’on peut attendre
D’une amitié tendre:
Mais son long courroux
Détruit, empoisonne
Tous mes soins pour vous
Et vous abandonne
Aux fureurs des loups.
Seriez-vous leur proie,
Aimable troupeau,
Vous de ce hameau
L’honneur et la joie;
Vous qui, gras et beau,
Me donniez sans cesse,
Sur l’herbette épaisse
Un plaisir nouveau?
Mais il faut céder:
Sans chien, sans houlette,
Puis-je vous garder?
L’injuste Fortune
Me les a ravis.
En vain j’importune
Le Ciel par mes cris;
Il rit de mes plaintes,
Et, sourd à mes craintes,
Houlette ni chien,
Il ne me rend rien.
Et sans mon secours,
Brebis innocentes,
Brebis, mes amours!
Que Pan vous défende:
Hélas! il le sait,
Je ne lui demande
Que ce seul bienfait.
Qu’avec tant de soin
J’ai toujours nourries,
Je prends à témoin
Ces bois, ces prairies,
Que si les faveurs
Du dieu des pasteurs
Vous gardent d’outrages
Et vous font avoir,
Du matin au soir,
De gras pâturages,
J’en conserverai,
Tant que je vivrai,
La douce mémoire;
Et que mes chansons,
En mille façons,
Porteront sa gloire
Du rivage heureux
Où, vif et pompeux,
L’astre qui mesure
Les nuits et les jours.
Commençant son cours,
Rend à la nature
Toute sa parure,
Jusqu’en ces climats
D’éclairer le monde,
Il va chez Téthys
Rallumer dans l’onde
Ses feux amortis.