St. John Lucas, comp. (1879–1934). The Oxford Book of French Verse. 1920.
Jean de La Fontaine 16211695
152. La Cour du Lion
S
De quelles nations le Ciel l’avait fait maître.
Il manda donc par députés
Ses vassaux de toute nature,
Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture,
Avec son sceau. L’écrit portait
Qu’un mois durant le roi tiendrait
Devait être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin.
Par ce trait de magnificence
Le prince à ses sujets étalait sa puissance.
En son Louvre il les invita.
Quel Louvre! un vrai charnier, dont l’odeur se porta
D’abord au nez des gens. L’ours boucha sa narine:
Il se fût bien passé de faire cette mine.
Sa grimace déplut. Le monarque irrité
L’envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le singe approuva fort cette sévérité,
Et, flatteur excessif, il loua la colère
Et la griffe du prince, et l’antre, et cette odeur:
Il n’était ambre, il n’était fleur,
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succès, et fut encor punie.
Ce monseigneur du Lion là
Fut parent de Caligula.
Le renard étant proche: ‘Or çà, lui dit le sire,
Que sens-tu? dis-le-moi. Parle sans déguiser.’
L’autre aussitôt de s’excuser,
Alléguant un grand rhume: il ne pouvait que dire
Sans odorat; bref il s’en tire.
Ceci vous sert d’enseignement.
Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère,
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand.